Récit ARAGONAIS 2024

PDF Cliquez ici  14-23 ARAGONAIS 2024

Charlemagne voit peu à peu s’éloigner les contreforts des Pyrénées, alors que venant du col un cavalier s’avance, “Sire votre arrière  garde a été attaquée”, l’Empereur fait volte-face avec une centaine d’hommes et repart vers Pampelune. Arrivé à Roncevaux, il ne peut que constater le massacre. Le corps de Roland gît au milieu des soldats chargés de fermer le long cortège de son armée, tous ou presque gisent au sol. Les Français avaient passé la frontière pour libérer Pampelune occupée par les musulmans, détruisant la ville au passage, prémices de la Reconquista de la péninsule Ibérique. L’histoire nous dit que l’embuscade dans laquelle est tombé Roland était menée par les Sarrasins, mais cette affirmation n’avait pour but que de remotiver les chrétiens et se lancer dans la lutte contre les musulmans, une autre version dit qu’un proche de Charlemagne, jaloux de la place qu’occupait Roland dans l’entourage de l’Empereur, aurait trahi les siens et monté l’embuscade avec l’aide des Vascons. Roland est mort et son épée, jetée en l’air avec force, est venue se planter sous la chapelle Notre Dame de Rocamadour à des centaines de kilomètres de Roncevaux. L’histoire s’accommode facilement des croyances lorsque cela nous arrange.

Pour notre périple sur le chemin Aragonais, nous devions emprunter le col du Somport, mais les fortes pluies de septembre ayant détruit la route qui longe le

Gave d’Aspe, la montée aux sommets devenait impossible. C’est donc par le col du Pourtalet et après un détour de 130 km que nous revenons à notre point de départ initial en France.

Jour 1 : Col du Somport, un pied en France l’autre en Espagne, c’est à l’albergue Aysa (bar restaurant de la frontière) que nous prenons notre café avant de saluer la statue de saint Jacques (scellée au passage du chemin en Espagne). Une magnifique descente s’offre à nous et on traîne un peu sur ces pentes ensoleillées.

Un chemin de chèvres nous conduit à Candanchu (station d’hiver) que nous laissons sur notre droite, suivant les rives du ruisseau qui, sous nos pas, se transforme peu à peu en mini torrent. Nous entrons rapidement dans la forêt de moyenne montagne et des centaines de champignons nous regardent passer. Le goulet formé par la vallée nous évite de nous perdre, « ya ka » descendre en longeant la petite rivière. En milieu de matinée nous atteignons la gare de Canfran, une des plus vastes d’Europe, la partie historique a été transformée en hôtel de luxe sur cette voie ferrée qui reliait l’Espagne à la France à la grande époque du chemin de fer, mais la route et les autoroutes ont pris le dessus et, pendant des décennies, ce magnifique ouvrage est tombé en désuétude. Une nouvelle gare plus modeste a été aménagée à la place des entrepôts et le trafic va reprendre, reliant la France via Bordeaux à l’Espagne via Huesca. L’ancienne gare est à la fois immense et magnifique. Après un petit encas nous reprenons notre chemin en suivant la course de ce qui est devenu une rivière de montagne. Quelques barrages produisent une partie de l’électricité nécessaire à la vie de la vallée et nous passons d’une rive à l’autre au gré des ponts. La végétation change rapidement car la vallée fait une pause et la pente s’adoucit. Nous arrivons à Villanua sous le regard figé d’une femme sculptée dans un vieil arbre sec. Là se termine notre étape.

Jour 2 : Une petite route nous fait sortir calmement de la ville, nous marchons à mi-pente en longeant la voie ferrée en cours de rénovation et la rivière qui a pris ses aises dans cette vallée qui s’élargit.

Le temps est au beau fixe et la température idéale pour ‘caminer’ … Nous arrivons à Castiello de Jaca, petit village exposé plein sud, qui fait la jonction entre deux chemins de Saint-Jacques. Depuis l’église du village, on domine toute la vallée et ses maisons anciennes parfaitement rénovées qui s’étalent jusqu’au bord de la rivière. Le village est vide ce matin, mais près de la route nationale, quelques commerces s’activent. Petite pause-café, ou plus si affinités, nous reprenons notre périple qui nous fait traverser plusieurs fois la rivière sur des ponts très rustiques et frêles. Les kilomètres s’égrènent et nous arrivons à Jaca devant une magnifique fresque murale qui rend hommage au “Chemin” et aux marcheurs. Jaca est une ville de garnison, sur une hauteur qui domine l’entrée de la plaine formée par la jonction du rio Gas et de la rivière Aragon. Une immense citadelle pentagonale du XVIe siècle domine la ville, d’autres constructions remarquables telles que la cathédrale romane, le monastère des bénédictines, l’ermitage de Sarsa et sa tour de l’horloge, le pont San Miguel ou l’église Santiago mériteraient une visite, mais le temps passe vite et nous devons marcher.

Jour 3 : Notre objectif de ce jour est de prendre tout ou partie du chemin des monastères, qui est une variante sur le chemin Aragonais. Nous voici donc au pied d’une colline avec un minimum de repères car c’est peu fréquenté.

Le premier kilomètre vers les sommets est assez facile, mais ensuite le chemin de mulets se transforme en boyaux creusés par la pluie, et se succèdent les uns les autres sans autre alternative que de monter entre les rochers qui affleurent et les aplats boueux qui les séparent … Il y a des champignons partout, mais c’est interminable et nos genoux commencent à souffrir. De boyau en boyau, nous arrivons enfin au sommet de la première colline. Une plaine d’altitude s’ouvre devant nous, nous marchons entourés de petits chênes et des taillis qui bordent les chaumes des cultures passées.

Le chemin nous fait descendre vers une vallée plus fertile avec son village et quelques fermes. Atarès est un village de montagne en pierres sèches, dédié à la culture et l’élevage. Au pied de l’église, blotti au beau milieu du village, nous profitons d’un abri qui couvre le fronton contre lequel on joue à la pelote (on a beau être en Aragon, on n’en est pas moins au pays Basque).

Après le casse-croûte tiré du sac, nous reprenons notre marche, glanons quelques grappes de raisin et prenons la direction de la colline suivante. Tout comme pour la première ascension, les montées se succèdent sur des chemins improbables, le minéral s’empare de nous et une pluie fine s’invite, nous sommes dans un autre monde. Sur les crêtes que nous franchissons, nous pouvons embrasser les paysages grandioses qui s’étalent de tous les côtés. Nous alternons entre bonheur et souffrance mais, sans hésiter, on continue à monter. Nous arrivons sur un haut plateau totalement boisé au milieu duquel est construit le nouveau monastère de San Juan de la Peña.            

 

Cet impressionnant bâtiment baroque qui sert aujourd’hui de ‘centre d’interprétation’ permet, comme dans un voyage dans le temps, de découvrir le fonctionnement et la vie quotidienne des moines de l’époque. Sa construction fait suite au terrible incendie qui a ravagé l’ancien monastère, dont les vestiges subsistent sous la protection d’un impressionnant rocher, il abrite une église et son magnifique cloître roman, ainsi que le Panthéon des anciens rois d’Aragon. Nous sommes sur la route de Santa Cruz de la Seros qui abrite un bijou de l’art roman du XIIe siècle, l’église Santa Maria qui faisait partie d’un monastère féminin dans lequel vivaient les femmes de la noblesse aragonaise. Cette journée de marche nous laisse une sensation bouleversante quand on pense aux conditions de vie de l’époque, comparées à nos soucis existentiels.

Jour 4 : Nous sortons de Santa Cruz direction la vallée, reprenons le GR 65 qui sert de ‘camino’ et, de nouveau, nous grimpons vers les hauteurs du mont Cuculo qui culmine à 1550 m. Rapidement les plaines des hauts plateaux adoucissent notre marche. De nouveau, quelques passages difficiles au milieu des arbustes et des champignons omniprésents, quelques mini torrents encore humides nous rappellent qu’ hier, il pleuvait. Nous croisons quelques militaires lâchés tôt le matin pour un parcours de reconnaissance et, bientôt devant nous, au sommet d’une petite colline, le minuscule village de Binacua et son église dédiée aux Anges des Custodios nous ouvrent les portes de la vallée, direction le rio  Aragon. A la limite de la plaine et des collines, nous croisons quelques troupeaux et, de temps à autre, nous sommes contraints de contourner d’étranges monticules composés de lave cristallisée, sculptés par la pluie. On a le sentiment que la nature a hésité entre le sable et la roche volcanique, entre l’ardoise et le grès, cela donne une succession de dunes de petits cailloux abrasifs de couleur gris cendre, que nous escaladons sans peine mais par simple curiosité. Quelques ramblas où coule encore un peu d’eau des dernières pluies et nous arrivons à Santa Cilia avec la ferme intention de prendre un café ou autre si affinités. Pas de bol, un saint Jacques en acier nous accueille, et un paysan nous ôte tous nos espoirs, ici tout est fermé. Quelques photos plus tard, nous reprenons à travers la campagne, tantôt sur les chemins, tantôt sur la route. De tous côtés la beauté des paysages nous surprend. Nous descendons dans le lit de la rivière pour passer au milieu d’une bonne centaine de cairns construits avec des galets, témoignages éphémères de nos prédécesseurs, que nous imitons en démontant deci delà pour laisser, nous aussi, nos œuvres. Nous arrivons à Puente la Reina de Jaca en début d’après-midi, au beau milieu d’un rassemblement de motards, voitures de sport et camions divers qui emplissent le parking du bar restaurant où se termine notre étape. Nadine et Catherine nous rejoignent et nous transportent de nouveau à Santa Cruz, que nous visiterons en fin d’après-midi.

Jour 5 : Nous reprenons notre périple à la porte de l’albergue d’Arrès, tenue par deux hospitaliers, un français et un anglais qui nous font visiter les installations. Cette petite albergue, posée au sommet d’une colline, très loin de tout, semble ravitaillée par les corbeaux. Elle est pourtant indispensable à la survie de cette partie du Chemin, car dans ce secteur il y plus d’animaux sauvages que d’êtres humains, et cette colline s’apparente un peu aux oasis des caravaniers. Peu importe la direction que tu vas prendre, il faut descendre. Pour nous, c’est le lit de la rivière Aragon avec cette succession de plaines cultivables, petites incursions à flancs de collines au milieu des bosquets envahis de champignons, une ferme par-ci par-là, de nouveaux des dunes et quelques villages qui surveillent la plaine. Il fait un temps superbe pour marcher et méditer. Puis, entre les plis du relief, au sommet d’un promontoire qui avance vers la plaine, notre destination apparaît au loin. Le contre-jour du soleil, qui commence sa descente, dessine les contours d’un village de Disney. Le clocher qui tutoie le ciel, les maisons qui s’étalent dans la pente, la petite route qui s’enroule autour de la colline et les jardinets entrecoupés de murets de pierres sèches, c’est un peu magique, mais ce qui l’est moins, c’est la montée au sommet après une journée de marche. À l’albergue d’Artieda, sur la terrasse à l’ombre, nous apprécions quelques boissons fraîches avant de découvrir nos litières ; les femmes dans une   chambre au village, les hommes à l’étable ou presque. Le chalet des hommes est prévu pour quatre ou cinq lapins, c’est sympa, mais spartiate. On dîne ensemble au réfectoire de l’albergue et « au dodo. »

Jour 6 : Aujourd’hui, c’est relâche. Nous allons saluer la sainte patronne de l’Espagne en l’église de La

Vierge du Pilar à Saragosse. Cette grande ville, capitale de la Province du même nom, est aussi la ville où fut signé en 1529, le traité qui garantissait le partage du nouveau monde entre les Portugais et les Espagnols. Son histoire est très riche car elle a abrité les Wisigoths, Romains, musulmans, juifs et catholiques au fil des siècles, même Charlemagne y est venu, et son casco antiguo garde les traces de ce passé multiculturel. Outre son immense patrimoine religieux, le Parlement Autonome Régional actuel siège dans le palais fortifié de l’Aljaféria, ancien

Alcazar construit par Al-Muqtadir qui a servi ensuite de couvent sous l’inquisition, puis de caserne et de prison, sous Franco, avant d’être restauré. Nous émergeons du parking, au beau milieu de la Plaza del Pilar, face à l’Église du même nom qui abrite la représentation de la Vierge, et nous sommes frappés par la beauté du monument, les tours, campaniles et autres toitures vernissées emplissent notre paysage, et sur la place, une foule grouillante. Nous entrons dans l’édifice par une porte majestueuse. C’est d’une richesse incroyable, les chapelles qui se succèdent sont plus impressionnantes les unes que les autres, mais dans le maître-autel une messe en cours nous empêche de profiter pleinement de l’endroit. Christine, crédencials en mains, s’adresse au secrétaire pastoral qui semble enchanté de valider notre visite. Il prend un soin particulier à annoter manuellement chacun de nos sept documents, avant d’y apposer le symbolique Sello pendant que Christine, debout, pastoralement penchée vers le bureau, semble communier avec l’au-delà. Encore quelques salles qui abritent le musée de l’église, et nous ressortons au beau milieu d’une foule qui se densifie d’heure en heure. Après le traditionnel café, nous nous dirigeons vers le musée Goya qui se trouve à deux pas de la place. Ce musée présente bon nombre d’œuvres attribuées au peintre et à ses élèves, ainsi qu’une collection de gravures et esquisses qui s’étalent sur plusieurs étages. Il est l’heure de déjeuner, mais le restaurant que nous avions élu est tellement prisé, que nous devons déambuler dans les ruelles du quartier antique, narines en éveil, pour finir dans un petit “Bouchon” local, qui vient d’être repris par un amoureux de fromages et charcuteries. Il nous prépare deux plateaux bien garnis de spécialités régionales et commente une à une, chaque rondelle. Nous tirons la langue et nous vidons les verres en attendant qu’il termine l’inventaire. Très belle expérience culinaire qui se termine par la première tournée du patron à base de liqueur locale, suivi d’une deuxième, puis la troisième arrive… Il nous aime bien celui-là. Le retour au clapier se fait à la lumière des phares.

Jour7 : De bonne heure et de bonne humeur, nous reprenons notre route pour la plus longue étape du périple, le village s’éveille à peine. Une longue descente nous conduit de nouveau vers le rio Aragon et nous longeons pendant quelques kilomètres la RN 1601 totalement déserte. Peu à peu apparaissent les rives d’une immense retenue d’eau formée par le barrage de Yesa. Notre chemin passe entre dunes lunaires et lagunes asséchées pour remonter  lentement vers la forêt, d’où nous apercevons toute l’étendue du lac. Peu à peu, devant nous se dessinent les ruines d’une forteresse musulmane qui forme avec ses dépendances le petit village de Ruesta. Des centaines de pèlerins traversent chaque année ce qui fut, en son temps, une petite ville au pied du château. Une albergue, située dans deux anciennes maisons restaurées, offre un hébergement aux pèlerins et aux voyageurs. Nous faisons une halte pour nous restaurer et nos deux stagiaires nous rejoignent en voiture. Après une bonne pause, nous reprenons le chemin à travers le village en cours de rénovation. Quelques fontaines aménagées nous confirment qu’il y avait bien de la vie dans ces contrées. Nous traversons le rio régal sur une passerelle récente, nous ouvrant une vision panoramique sur le village. Nous laissons sur notre gauche l’ermitage du XIe siècle “Saint-Jacques Apôtre”, récemment rénové (l’ermitage, pas l’apôtre) et entamons une interminable ascension au milieu de la forêt qui va nous conduire de 450 m des rives du lac aux 890 m du plateau de Cabañera. La montée et la chaleur ont dispersé la troupe. Après une bonne pause au sommet, le groupe se reforme pour les cinq derniers kilomètres sur un chemin pierreux ou rien ne pousse. Les dalles de pierre chauffées par le soleil nous enflamment la plante des pieds et notre descente nous conduit au village d’Undues de Lerda, totalement endormi en ce milieu d’après midi. Nad. et Cath. nous rejoignent et c’est par une pseudo route que nous arrivons à notre albergue du jour au village de Javier, pour loger au magnifique et imposant hôtel du XVIIe siècle, « le Xabier » qui fait face aux restes du château. Le village de Javier se trouve à l’est du château où naquit, au XVIe siècle, saint François Xavier. Son minuscule noyau urbain fut construit en 1960, afin de reloger les habitants des anciennes maisons se trouvant à proximité de la forteresse et qui furent alors détruites. Devant l’hôtel de ville, une sculpture moderne en bronze, signée de l’artiste Francisco Aizcorbe, rend hommage au saint homme. Hormis le château, le village possède d’autres centres d’intérêt, comme l’église paroissiale de l’Anunciación, datant du XVIIIe siècle, où se trouvent les fonts baptismaux de François Xavier. L’autel du temple est présidé par une image romane de la Vierge Marie. Dans les environs de Javier, sur les bords du rio Aragón, on peut admirer les ruines d’un ancien moulin d’origine médiévale, mais ce sera pour un autre périple.

Jour 8 : Liedena sera notre point de départ. Ce premier matin de septembre, nous empruntons une via verde sur la piste d’une ancienne voie ferrée qui traverse la montagne. Nous entrons dans les gorges de « Lumbier », ce passage est aussi une alternative au chemin officiel. Au fond des gorges, le rio Irati, gonflé par les nombreux affluents qui dévalent des collines à littéralement entaillé la montagne pour se frayer un chemin vers le fleuve Aragon et les hommes ont taillé une voie et deux tunnels à travers la roche pour faire passer le premier tortillard électrique d’Espagne, mais il a fait son temps. Des colonies de vautours fauves se sont installées dans ces gorges qui s’étalent sur 2,6 km et finissent au pied des restes du « Pont du Diable » qui fut détruit par les Français durant la guerre d’Indépendance de 1912. Ce nom lui vient de

la légende qui veut que sa construction paraissait tellement compliquée que sans l’aide du diable, ses bâtisseurs n’y seraient jamais arrivés. Outre les vautours, des centaines d’oiseaux vivent dans ces gorges que nous revisitons une seconde fois. La journée avance, il est temps de prendre nos quartiers à Pampelune.

Jour 9 : Le temps est maussade pour notre dernier jour de marche officiel, direction Puente la Reina /Gares. Nous foulons les petits cailloux hors de la

ville en direction des collines qui entourent cette vaste agglomération. Très vite la campagne s’ouvre à nous et la nature nous envahit de nouveau. De coteaux en vallées, de fermettes en villages, nous avançons dans la bonne humeur, régulièrement arrosés, comme si la nature voulait nous imprégner du climat local. On peut dire des climats locaux, car il suffit de franchir une colline, pour revoir un peu de soleil et ainsi de suite. Par ici, tout est vert, les petites parcelles entrecoupées de haies et de chemins, forment un patchwork naturel du plus bel effet. A Eneritz, petit village typique traversé par la rivière Robo, tout paraît fermé et nous arrivons devant l’Albergue qui, elle aussi, est fermée. Nous squattons quelques minutes et la porte s’ouvre pour laisser sortir trois pèlerins Catalans qui avaient passé la nuit sur place. L’hospitalier nous fait entrer et nous terminons le café encore chaud. C’est son jour de fermeture, donc pas question de rester, même pour sécher nos carcasses, mais, avant de partir, il nous offre à chacun une pomme. Saint Jacques lui rendra, nous en sommes sûrs… Reprenant notre marche en avant, passant d’un côté à l’autre de la rivière, nous nous écartons du chemin direct pour rendre visite à l’église octogonale Santa Maria d’Euñate, petite église construite vers 1170, dont certaines hypothèses attribuent sa construction aux templiers qui œuvraient pour la protection des pèlerins avec l’appui et la protection du Roi Sancho VI. Mais en raison de son plan octogonal, on peut penser que c’est une copie du Saint-Sépulcre de Jérusalem construite par les chevaliers du temple. La tradition populaire dit aussi qu’elle fut érigée comme chapelle funéraire par une noble dame Sancha  à moins que ce ne fût une reine du même nom. Le caractère isolé de l’édifice et son cloître extérieur avec ses arcades lui confère une ambiance spirituelle très marquée. Notre entrée à Puente la Reina est gâchée par une mauvaise nouvelle, car on nous aurait volé une voiture. En fait des malentendus sur la gratuité ou pas du parking, ont conduit un de nos véhicules à la fourrière de Pampelune.

Jour 10 : Flâneries à Pampelune, un peu dans les vieux quartiers où nous laissons notre obole contre quelques churros con  chocolat chaud et autres babioles, et un peu dans les quartiers récents devant l’œuvre inspirée de  El Encierro  qui est en fait le moment où les taureaux sont lâchés dans les rues, avant de finir dans la  Plaza de toros. Cette tradition débute les festivités de saint Firmin, qui vont durer une semaine pendant laquelle, habillés de blanc avec le célèbre foulard rouge, les plus courageux affrontent les taureaux lâchés dans la rue ; scènes immortalisées par Hemingway dans son roman « Le soleil se lève aussi ». Le foulard rouge rend hommage à saint Firmin, qui, né à Pampelune au IIIe siècle, fut décapité à Ambianorum (notre Amiens à nous). L’après-midi, nous retournons à Puente la Reina pour flâner un peu dans cette  célèbre ville étape qui voit la jonction du chemin français par Aragon et celui qui vient de Roncevaux. Nous immortalisons notre passage par une photo de groupe sur le pont de pierres qui a donné son nom à la ville. En milieu d’après-midi, nous prenons la route vers la partie récréative de notre périple, à savoir, une petite incursion dans les Bardenas Réales, nous dormirons dans des  chalets individuels, à quelques minutes de cette réserve désertique.

Jour 11 : Dès l’aube, nous entrons dans un autre monde. Quelques collines à franchir et une vaste plaine semi-désertique s’étale devant nous. Ce patrimoine des rois de Navarre depuis le IXe siècle, c’est le Parc Naturel des Bardenas Royales, un paysage pseudo-steppaire modelé depuis des millions d’années par l’érosion. Après quelques kilomètres  sur un chemin pierré au beau milieu de nulle part, nous arrivons devant le Castil Detierra, monticule emblématique de l’entrée du parc. Catherine et Nadine, si discrètes jusque-là, sautillent comme des puces tellement c’est beau. Quelques photos plus tard, nous débutons notre randonnée en contournant un immense promontoire rocheux, que nous allons gravir. Les sept mercenaires en rang d’oignon gravissent lentement le chemin qui nous conduit peu à peu sur un haut plateau où survivent quelques arbres fruitiers squelettiques (sans doute des amandiers). Par contre, les Cistes et le Romarin s’épanouissent à merveille, nous nous dispersons rapidement sur ce promontoire qui domine les 42 000 hectares du parc où alternent les hauts plateaux et les canyons creusés par les orages qui s’abattent chaque année. Ici il ne pleut pas, c’est le déluge ou l’enfer, plusieurs grandes mares entourées de roseaux, accumulent les eaux de ruissellement et alimentent une faune invisible en journée. Quelques champs cultivés et des élevages embryonnaires confirment qu’il subsiste quelques paysans. Le panorama est envoûtant, mais le vent ne nous laisse aucun répit.

C’est magique, mais le temps passe trop vite et les images s’impriment dans nos têtes. Nous entamons la longue descente en cherchant, entre les ravins, le meilleur passage pour retourner au point de départ. Pour déjeuner, nous honorons la petite ville d’Arguédas et ses cuevas, maisons troglodytes où nous aurions pu loger, presque tous les commerces sont fermés, la vie commence vers 17h00 et se poursuit tard dans la nuit. A quelques kilomètres de là, nous rendons visite à la seconde ville la plus peuplée de Navarre, Tudela. Dominée par un Christ en croix sur la colline, cette ville est partagée en divers quartiers avec leurs identités culturelles. Lourdes, quartier populaire aux maisons pas chères, Azucarera, sur les terres des anciennes sucreries est typique par ses construction récentes et individuelles, Virgen de la Cabeza, l’équivalent des favelas brésiliennes, Musica, proche des polygones industriels, Queiles, en pleine expansion, et sept autres quartiers qui entretiennent leurs différences au fil des saisons et des fêtes pastorales… La ville, fondée en 802 par Amrus ben Yusuf, était le fief frontalier de l’émirat de Courdoue.

Il est temps pour Christine, Catherine, Nadine, Pierre, Thierry, Francis et Guy Blanès notre petit dernier, de rentrer en France, la tête pleine de souvenirs. Nous remontons par le col de Roncevaux, avec arrêt obligatoire pour honorer le lieu et, après avoir traversé Saint-Jean-Pied-de-Port, nous entamons une longue et périlleuse montée (en voiture) vers l’auberge Ahusquy, où nous déjeunons en plein air, au milieu des sommets, sous le regard aiguisé de centaines de rapaces en migration vers le sud.

A l’année prochaine ….